Alain Delcroix président de l’AMMMD
Depuis 2022 se livre sur son premier mandat, le nouveau conseil d’administration et sa vision pour l’avenir de l’association
Vous avez été élu président de l’association à la fin de l’administration judiciaire. Pouvez-vous nous dire comment vous avez connu l’association et comment vous en êtes arrivé là ?
Je ne connaissais pas vraiment Duruflé lorsque j’ai eu l’occasion de l’écouter en concert. J’ai été séduit comme beaucoup. C’est plus tard au hasard d’une rencontre que j’ai appris qu’une association avait été créée et j’ai trouvé utile d’y adhérer. C’était il y a 20 ans. Je m’y suis intéressé vers la fin de l’administration judiciaire car aucune information n’en filtrait hormis le site internet qui me laissait dubitatif. Plus disponible, j’ai été approché par l’équipe qui tentait de constituer une seule liste pour se présenter au Conseil d’Administration. Je ne connaissais personne mais j’ai senti un désir partagé de remettre l’association en marche et j’ai accepté. Le conseil étant élu, on m’a ensuite proposé d’en prendre la présidence. Je ne m’y attendais pas du tout et n’y étais pas préparé, j’avais tout à découvrir.
Vous assurez la présidence depuis presque 4 ans, c’est votre deuxième mandat, comment avez-vous vécu ces années?
Comme je le mentionnais, une liste unique était proposée à l’élection. De fait, le conseil de 2022 a été le fruit d’un compromis entre deux groupes que tout opposait. Aucun projet n’avait été préalablement discuté en dehors de leur engagement à ne pas revenir sur les querelles du passé et à travailler à un objectif commun. Il manquait donc une phase très importante de concertation et de discussion pour s’accorder sur le projet. Lorsque le conseil a commencé ses travaux, les bonnes intentions du départ n’ont pas suffi et cette situation a été pour moi une source de préoccupations majeures. Ce fut un grand frein… et le frein, c’est du temps. Trois ans !
Je me suis pourtant astreint à parler à tous, j’ai écouté puis compris que certains des protagonistes n’étaient pas en mesure d’évoluer. J’ai en revanche découvert des personnalités attachantes et brillantes qui sont devenues des amis. Gérer des conflits, des non-dits, des suspicions, c’est éprouvant. J’ai été mis en cause et cela m’a blessé. En réponse, la patience et la persévérance sont les seuls outils à condition d’y consacrer temps et énergie.
En contrepartie, et ce n’est pas rien, deux magnifiques concerts ont répondu aux attentes de nombreux membres et permis d’en faire venir de nouveaux. La découverte de jeunes musiciens enthousiastes et généreux compense ces années besogneuses.
Qu’elle leçon en tirez-vous?
En résumé, et ce n’est pas une surprise, à nos adhérents qui ne comprendraient pas pourquoi cette affaire n’est pas finie, je dirai qu'on ne reconstruit pas solidement et durablement en quelques mois une structure qui a pâti de vingt années de conflits, de luttes acharnées que rien a posteriori ne saurait justifier. Les intérêts individuels de tous ordres doivent toujours s’effacer devant la mission qui nous est confiée. C’est un enseignement qui guidera la gouvernance de l’association.
Étiez-vous préparé à ces difficultés ?
Je savais qu’il y avait des divergences, j’en ai parlé plus haut, mais je ne m’attendais pas à ce niveau de tension, loin d’imaginer que je me retrouverais dans une telle situation en acceptant cette présidence. Ma vie professionnelle m’a souvent confronté à de telles situations, en gérer une autre dans un tel cadre était impensable. Cela m’a beaucoup déçu mais loin de me décourager m’a motivé plus encore.
Où en est l’association aujourd’hui ? Avez-vous toutes les cartes en main pour avancer ?
Nous sommes dans la quatrième année de sa nouvelle vie. Le conseil élu en 2024, est à la hauteur des enjeux à venir. C’est un vrai conseil avec des personnalités compétentes, rodées à cet exercice et totalement désintéressées. Et nous sommes bien organisés.
Les avancées des trois premières années étaient nécessaires mais pas suffisantes. Nous avons tous les atouts pour préparer l’avenir. Car les membres du conseil qui ne sont que de passage pensent à l’association à long terme. De plus, des généreux donateurs nous font confiance, ils nous obligent. Qu’ils soient ici chaleureusement remerciés.
Mais il vous reste encore des difficultés, pensez vous les résoudre en 2026 ?
Nous sommes dans un deuxième cycle avec des échéances qui consacreront cette période de renaissance. J’espère que nous serons enfin récompensés de nos efforts et notre endurance. L’association était en totale déshérence, rien n’était formalisé, il a fallu partir de zéro et reconstruire une organisation pérenne, dotée d’une gestion digne de la reconnaissance d’utilité publique, renouer avec les membres, recouvrer des cotisations, sécuriser nos bases de données, reconstituer toute la comptabilité… mettre à jour les statuts alors que la trésorerie était au plus bas. Tout cela sans ressource significative car 14 années d’administration judiciaire avaient asséché les comptes. Nous ne pouvions compter que sur les cotisations et des dons miraculeux et substantiels qui nous ont aidés à franchir les derniers écueils. Aujourd’hui nous avons réuni toutes les conditions pour avancer. Il nous reste cependant deux handicaps : le premier, le nerf de la guerre, c’est la ressource financière. Sans le legs d’Éliane Chevalier nous sommes impuissants.
Pourquoi est-ce si long, ne pouvait-il pas y avoir une délivrance à l’amiable ?
Bien sûr nous aurions préféré une délivrance à l’amiable, nous savons que c’était la volonté de tous les membres, et nous avons tout fait pour qu’il en soit ainsi. Notre volonté était d’avancer ensemble. Malgré nos efforts, nous n’y sommes pas parvenus, principalement pour des conflits que je considère d’ordre privé bien éloignés de l’intérêt de l’association. Ainsi nous n’avions d’autre solution qu’assigner.
Et le second ?
C’est le calendrier judiciaire, et là aucune action n’est possible. Nous ne le maîtrisons pas. Nous attendons donc la plaidoirie prévue en mars prochain puis le délibéré. Certes nous gérons d’autres procédures : l’une est close, l’autre a été rendue en notre faveur mais fait l’objet d’un appel, la dernière au conseil des prud’hommes, suit son cours. Nous restons cependant très confiants.
Pensez-vous les résoudre cette année ?
Oui je l’espère. Surtout pour les anciens adhérents qui sont restés fidèles, pour les donateurs et pour les quarante-cinq nouveaux membres qui nous ont rejoints depuis 2022. Ces adhésions montrent que l’association est vivante et se renouvelle. Elle suscite un attrait certain malgré les remarques que nous pouvons entendre sur la lenteur des progrès. Beaucoup de personnes enthousiastes qui voient tout le potentiel à venir et qui ont des projets artistiques attendent ce moment. Car, finalement, à ce jour l’association n’a que très peu servi la cause des Duruflé.
Parlons de Duruflé, peut-on dire aujourd’hui que son œuvre est beaucoup jouée ?
Oui, il très joué et régulièrement entendu, en France bien sûr mais on le joue beaucoup sur tous les continents : en Europe, en Asie, en Australie, en Amérique du Sud et beaucoup dans les pays anglo-saxons. Il est curieusement plus célèbre à l’étranger que dans son propre pays et sa notoriété est surtout très grande dans les pays anglo-saxons et en Europe du Nord.
Comment l’expliquez-vous ?
Elle s’explique par la vitalité des traditions chorales dans ces pays et par un nombre élevé d’orgues, non seulement dans les églises mais aussi dans les salles de concert, les conservatoires… où le "Requiem" en particulier est devenu une œuvre de référence. Duruflé y est joué, chanté ailleurs que dans des lieux de culte et touche donc un public plus large. Et aussi parce que dans la seconde moitié du XXe siècle, de nombreux chefs de chœur et organistes anglo-saxons ont défendu son œuvre, multipliant concerts et enregistrements. Cette diffusion internationale a largement contribué à asseoir sa réputation hors de France. La notoriété de Marie Madeleine, certainement la meilleure interprète de son mari, est également importante et plus particulièrement aux USA où elle a laissé un souvenir impérissable depuis sa tournée triomphale des années 90 qui a conquis les Américains.
Maurice Duruflé a relativement peu composé. Il est aujourd’hui surtout reconnu pour son Requiem et ses œuvres pour orgues. Comptez-vous mieux faire reconnaître son répertoire ?
Absolument, c’est précisément la mission de l’association : faire connaître Maurice Duruflé et son répertoire au-delà de l’orgue. Tous les genres musicaux se retrouvent dans son œuvre. De même, en complément du répertoire, doit-on faire connaître sa personnalité, son histoire, la façon dont il enseignait.
En reconstituant la courte mais très tumultueuse histoire de l’association, j’ai compris que l’orgue a été privilégié au détriment des autres genres, on pourrait même avancer qu’elle a été captée par les organistes. Je regrette ainsi que les bulletins dits d’information parus jusqu’en 2020 sont en fait des revues d’études particulièrement dispendieuses réservées à un public très spécialisé. Il n’est pas certain que les adhérents qui les recevaient faisaient le lien avec un projet associatif. Au point que même un orgue stylisé y tenait lieu de logo en page de couverture. J’ai donc découvert une association dédiée à l’orgue et non à un compositeur. Quel enfermement ! Si les savants y sont bienvenus, les non-initiés doivent y prendre toute leur place.
Donc, vous avez une réelle vision du rôle de l’association qui est beaucoup plus large que celui dans lequel elle s’était apparemment enfermée ?
À sa création, selon les vœux de notre fondatrice Éliane Chevalier, l’association est explicitement consacrée à l’héritage musical d’un compositeur dont la production a vocation à être proposée à tous les publics. En ce sens, l’association doit s’adresser à tous ceux qui s’intéressent à la musique, quelles que soient leurs motivations.
Il reste encore plus de 30 ans de moyens garantis pour promouvoir l’œuvre de Duruflé musicien compositeur, enseignant, et organiste. Marie-Madeleine y a également sa place, son rôle et ses compositions seront valorisées. Oui, l’association pourrait devenir la référence mondiale Duruflé par la multiplication des projets (concours, académie, master class, créations…) et le soutien d’initiatives, l’accueil de chercheurs qu’ils soient historiens, musicologues… Elle fera ainsi porter un autre regard sur son œuvre et aussi sur l’homme.
Dans l’immédiat, nous commençons à recueillir les témoignages de ceux qui ont connu et travaillé avec Maurice et Marie-Madeleine. Dans cet exercice, tout est à faire. Ne tardons pas.
Les œuvres de M. Duruflé sont très jouées, cela ne pose-t-il pas la question de l’exercice du droit moral ?
C’est une question qui s’est posée dès 2022 dont nous n’avons pas mesuré immédiatement l’importance. Peu à peu je me suis rendu compte que pendant presque 20 ans de nombreuses transcriptions ont été écrites et interprétées, cela est notamment observable sur la plate-forme YouTube. Et ce phénomène est mondial. Qui veillait au cours des dernières années ? Ainsi, nous découvrons des transcriptions et des adaptations produites sans autorisation. Je peux comprendre la boulimie des interprètes désireux d’innover, je leur demande néanmoins de consulter le code de la propriété intellectuelle. Il est donc grand temps d’agir en contactant les auteurs de ces initiatives musicales non autorisées. Lorsque la justice aura tranché, l’association mettra en place une structure dédiée à l’exercice du droit moral, seule façon de perpétuer l’esprit du compositeur. Dans cet exercice la pédagogie et l’échange seront notre priorité.
Et le droit patrimonial ?
C’est une autre affaire qui touche directement la finance. Il s’agit des droits d’auteurs, des royalties. Ces redevances qui sont consignées depuis 17 ans et qu’Éliane Chevalier a léguées à l’association. Au cours de nos investigations, nous avons compris que beaucoup confondent droit moral et droit patrimonial, y compris dans le monde musical. C’est très surprenant. Il est parfois utile de rappeler que si les droits d’auteur courent sur une période de 70 ans, le droit moral est imprescriptible. Il sera nécessaire de renouer des liens solides avec les éditeurs des œuvres de Maurice Duruflé compte tenu de l’enjeu financier.
Pour conclure quel message réservez-vous aux adhérents de l’association et comment envisagez-vous l’année 2026 ?
En ce début d’année, nous entrevoyons ce que sera l’association lorsqu’elle sera maître de son destin. Nous serons très sollicités pour des projets de tous ordres, et nous le sommes déjà de plus en plus via notre site internet encore en évolution, par nos réseaux ou simplement à l’occasion de rencontres.
Certes nous aurons des ressources significatives. Mais une autre organisation sera nécessaire avec des moyens humains supplémentaires. Il n’est pas besoin d’être membre du conseil d’administration pour agir. C’est pour cela que dès maintenant je fais appel aux membres qui ont des compétences, des idées, où qu’ils soient, pour participer à cette transformation. Les nouveaux adhérents sont un potentiel considérable. Nous les invitons à participer. Ils seront bien accueillis et pas seulement en France.
En conclusion ?
Elle sera simple et en quelques mots : nous travaillons exclusivement pour l’œuvre. Le conseil a pris la pleine conscience de sa mission. Restons confiants et concentrés. À ceux qui nous lisent, je dis « rejoignez-nous ».
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