Marie-Madeleine Duruflé
(1921-1999)
En guise de biographie, nous reprenons in extenso l’hommage publique prononcé par Eliane Chevalier, sa soeur, à l’occasion d’un hommage rendu à sa mémoire en la Cathédrale américaine à Paris le 8 mai 2000.
"Chère Marie-Madeleine,
vous nous avez quittés mais, pour nous, vous êtes toujours là, car personne n’oubliera jamais ce que vous nous avez apporté par votre personnalité si forte, à la fois joyeuse, volontaire et courageuse, et surtout par votre message musical. Aujourd’hui, nous voulons vous rendre hommage mais aussi pour notre propre bonheur, évoquer votre belle existence, vous rendant encore plus présente parmi nous.
L’Enfance
Ce n’est pas un hasard si nous nous retrouvons en ce 8 mai car c’est le 8 mai 1921 que vous êtes née à Marseille. Venue avec vos parents habiter à Cavaillon où votre grand-mère maternelle, Madame Rigoir, donne des leçons de piano, elle vous met au clavier l’année de vos 6 ans et s’étonne aussitôt de vos progrès rapides. Non seulement en un mois, vous déchiffrez avec la plus grande aisance mais vous retenez tout par cœur, puis, vous jouez en mineur ce qui était majeur, trouvant que « c’est plus joli ainsi » ou encore vous doublez les mouvements. et un jour qu’elle vous entend de loin jouer un morceau avec moins d’aisance qu’à l’ordinaire, elle vous surprend en train de croiser les mains, donnant à la main droite le rôle de la basse et à la main gauche celui du chant. Cet esprit d’invention et le plaisir de décupler les difficultés se retrouveront sans doute plus tard dans votre enseignement... vos élèves en savent quelque chose !
Vous avez 7 ans, vous jouez facilement des extraits de sonates de Mozart ou de Beethoven quand vous dites un jour à votre grand mère : « Je voudrais du papier à musique... » Ce sont de grands accords mineurs qui s’alignent et la grand-mère, jugeant que c’est une « Marche funèbre », indique qu’il faut donc mettre, au centre, un passage majeur, c’est ainsi que sera écrite une première composition. Marie Dhéré, professeur à Paris dont on parlera plus tard, vous écrivait, un jour de 1947 : « Hier, je relisais ta «Marche Funèbre» composée à 6 ans. Toute proportion gardée, tu ne feras jamais rien de plus prodigieux. »
À partir de ce moment, de nombreuses pièces pour piano vont se succéder, au cours des mois et des années qui suivent, de plus en plus élaborées, et qui, ainsi que les progrès constants et fulgurants au clavier laissent présager une brillante carrière de pianiste et de compositeur.
Une année scolaire à Paris
Marie-Madeleine a 10 ans, un voyage a Paris lui permet d’être présentée à Marie Dhéré qui a été le professeur de piano de Jacques Ibert avec lequel elle reste très liée et prépare des élèves pour les classes de piano du Conservatoire National Supérieur rue de Madrid. Marie Dhéré est tout de suite très intéressée par cette enfant qui lui parait exceptionnellement douée, et encourage fortement les parents à s’installer à Paris. C’est chose faite en octobre 31 toute la famille habite la capitale. Marie Dhéré confie Marie- Madeleine a Mme Marcel Samuel Rousseau dont le cours de solfège supérieur et la classe du Conservatoire sont réputés et conduisent souvent a la classe d’harmonie de son mari (certaines personnes de cette assemblée sont, elles-mêmes, passées par ce cours et Marie- Madeleine se souvient d’y avoir côtoyé Rolande Falcinelli, Robert Veyron Lacroix et Jean-Pierre Dathy.
Se trouver dans ce milieu est, pour Marie- Madeleine, un magnifique stimulant. Avec Marie Dhéré elle découvre J. S. Bach, Debussy, Ravel... tout un répertoire inconnu de Madame Rigoir, sa grand-mère. Lorsque Jacques Ibert l’auditionne et prend connaissance de ses compositions, il lui dit : « Tu seras comme moi Prix de Rome... tu peux l’être très tôt après avoir fait de l’harmonie et la classe de composition... » Elle joue, bien sûr, ses « 13 Histoires » pour piano, pièces ravissantes et imagées, « Le petit âne blanc », « La cage de cristal », « La meneuse de tortues d’or », etc. Il est enchanté et très encourageant. Elle travaille avec acharnement quoi qu’avec facilité et là encore, elle brûle les étapes. Marie Dhéré l’ayant emmenée à la messe annuelle organisée à la Trinité par Nadia Boulanger à la mémoire de sa jeune sœur, Lili, Grand Prix de Rome, décédée en 1918, elle écrit une « Pièce d’orgue », (appelée ainsi par sa mère mais qui est une pièce de piano !) puis Sérénité qui est datée du 8 mai 1932, le jour de ses 11 ans.
Le retour à Cavaillon
Cependant, la terrible crise économique qui sévit en Europe (après le krach financier de Wall Street qui a secoué d’abord l’Amérique) fait perdre à M. Chevalier sa situation et la famille repart pour Cavaillon... Marie- Madeleine compose « Le Retour au Mas » juin 1932, assez Ravelien. Mme Samuel Rousseau écrit à Mme Chevalier « “Le Retour au Mas” que j’ai lu avec intérêt est rempli d’idées charmantes... engagez Marie-Madeleine à continuer “ces essais” qui seront plus tard de délicieux souvenirs de jeunesse .»
La nomination à l’orgue de la cathédrale de Cavaillon
Malheureusement, «les affaires» ne s’arrangent pas, et c’est à Cavaillon que son père va retrouver péniblement une situation. En octobre 1932, le train-train de la vie cavaillonnaise reprend. C’est alors que Monsieur le Curé de la cathédrale en panne d’organiste vient proposer à cette petite fille qui joue déjà si bien du piano de se mettre à l’orgue. Après quelques heures de premiers contacts avec l’instrument il faut, très bientôt, à l’improviste venir jouer à un mariage et sa Maman lui chante l’air de la Marche Nuptiale de Mendelssohn qu’elle exécute avec brio puisque quelques mois après Monsieur le Curé la nomme titulaire.
Elle a 11 ans, aucun guide, découvre les jeux, le pédalier de 32 notes dont elle se sert pour les basses, joue le « Clavier bien tempéré », du Daquin, L’Organiste de Franck, qu’on lui a donné, improvise, accompagne des offices, facilitée pour suivre leur déroulement par la position de l’orgue au-dessus du chœur, harmonisant d’instinct cantiques et grégorien... ses parents doivent activer par deux grosses pédales la soufflerie qui n’est pas encore électrifiée... mais personne ne se doute que le destin de la jeune artiste a pris là un tournant décisif.
Elle continue le piano en solitaire, mais avec grand enthousiasme toujours sur la lancée des huit mois passés à Paris, fait de la musique d’ensemble avec quelques très bons instrumentistes amateurs Cavaillonnais. Elle compose pour un voisin violoniste un très beau Nocturne pour violon et piano.
Ses prouesses commencent à être connues dans la région, elle participe à plusieurs concerts. Un programme du 28 juin 1933 indique entr’autres deux compositions : Le Retour au mas et Sérénité, Fantaisie impromptu de Chopin, Giddy Girl de Jacques Ibert.
Les rencontres enrichissantes en Avignon, les études d’harmonie
Quelques rencontres providentielles vont lui donner du courage, enrichir son horizon. Il y aura d’abord Madame Nourrit, mère de Jacqueline, enfant prodige et virtuose du piano au jeu plein de fougue que sa mère a totalement formée et qui a donné en France beaucoup de récitals. Marie-Madeleine prendra des leçons avec Mme Nourrit venue vivre avec ses deux filles à Avignon. Celle-ci lui apportera de précieux conseils de technique mais aussi une qualité de sonorité, de tou- cher, une chaleur d’interprétation un peu freinés jusque là par la réserve naturelle, la timidité de Marie-Madeleine qui, bien que capable d’une certaine froideur cache ainsi un tempérament de feu, une volonté farouche au travail mais aussi une joie pro- fonde, un humour qui ne feront que se développer tout au long de sa vie. Marie- Madeleine aimera à dire que Marie Dhéré et Mme Nourrit lui ont apporté tout ce qui lui a été nécessaire plus tard, même pour son jeu de l’orgue. Elle revoit Marie Dhéré en 1939 et Madame Nourrit dans les années 60 et leur dit elle-même sa reconnaissance. Mme Nourrit conseille qu’à défaut de Paris, Marie-Madeleine aille au Conservatoire d’Avignon. En un an elle remporte à l’unani- mité les prix de solfège (les cours de madame Samuel Rousseau n’ont pas été oubliés !) et de piano et l’année suivante, en 1935, le 1er prix d’harmonie dans la classe d’Édouard Charles, venu de l’École Niedermeyer, organiste à Notre-Dame des Doms, avec des devoirs qui furent notés à Paris 10/10 par Jean Gallon, grand maître de l’harmonie (qui a été, on le sait, le professeur préféré de Maurice Duruflé).
Cependant, la jeune musicienne se passionne de plus en plus pour son orgue, qui va vite prendre la première place. Elle a découvert le répertoire propre à l’instrument, aidée et stimulée par Édouard Charles, des organistes avignonnais, quelques membres du clergé. Dès cette période elle a de fana- tiques admirateurs, et se nourrit de cette vie liturgique intense, messes, vêpres, toutes cérémonies auxquelles elle s’adapte et qu’elle rehausse par son talent.
Marcel Dupré
En 1938 grand évènement : Marcel Dupré vient donner un concert en l’église Saint- Agricol d’Avignon, sur le beau Cavaillé-Coll. On lui présente Marie-Madeleine, et il propose de l’auditionner à Meudon. Aussitôt elle met tout le programme du récital de Dupré à son répertoire, et en mai 1939 à Meudon, elle espère bien lui jouer ses Variations sur un vieux Noël qu’elle aime tant et joue, comme lui, avec une telle virtuosité ! Mais après lui avoir fait subir un examen complet : jeu de piano, transposition oreille (plaquant un accord subtil dont Marie-Madeleine lui dit aussitôt les 5 notes), improvisation d’un choral dans le style de Bach, accompagnement grégorien... c’est la petite Fugue en sol mineur de Bach qu’il lui demande. Madame Chevalier, présente, a toujours raconté que Dupré était là, debout, souriant, les mains levées, et dit quand ce fut fini « qui vous a donné, mon petit, une telle interprétation de Bach ? » Marie-Madeleine, sa timidité aidant, resta muette puisqu’elle avait, seule, travaillé cette fugue, et ne possédait même pas, à l’époque, l’édition Dupré. 30 ans plus tard, Madame Dupré ayant retrouvé les notes prises par son mari en ce jour de mai 1939, s’amusera à les lire à Marie-Madeleine. Il avait écrit « Audition de la petite Marie- Madeleine Chevalier venue de sa Provence : “téméraire et exceptionnellement douée !” » Marcel Dupré dit à Marie-Madeleine : « Vous entrerez dans ma classe en octobre et aurez votre prix d’orgue à 20 ans ! »
La guerre
Hélas ! La guerre éclate. Une fois encore le destin empêche Marie-Madeleine de profiter des grands Maîtres qui décupleraient ses dons et jusqu’en 1945, ce seront des années d’attente, de solitude, de travail en autodidacte. De 1939 à 1945... douloureuses années de guerre – difficultés de transport, qui augmentent l’isolement. Cependant il y a un grand «passage» de personnes déplacées par les événements et qui, si elles sont musiciennes, fréquentent la maison Chevalier. Marie-Madeleine fait du déchiffrage et de l’accompagnement, avec des instrumentistes de valeur. On manque de chauffage. Elle a des engelures et des crevasses aux mains, ce qui ne l’empêche pas de jouer des heures entières le soir, par cœur et dans le noir, souvent gantée de laine, les plus grandes œuvres pour piano, ou bien enfermée avec sa sœur dans l’église ou brille seulement la petite lampe du tabernacle jusqu’à l’heure du couvre-feu qui oblige à courir dans les petites rues avec la peur de rencontrer des patrouilles. Depuis 1942 sa sœur dirige la chorale paroissiale et toutes deux font découvrir aux Cavaillonnais Franck, Haendel, mais aussi Debussy, Fauré. Quelques concerts de piano ou d’orgue à Cavaillon, Avignon ou aux alentours. Mais Marie-Madeleine souffre moralement, a l’impression de perdre son temps, de végéter. Il n’en est rien car, avec ténacité, elle accumule les programmes. Cela va bien lui servir, quand, à la classe de Dupré, elle devra, comme il l’exige de ses élèves, apporter chaque semaine une œuvre par cœur.
Paris, La classe d’Orgue
Octobre 1945 le cauchemar de la guerre enfin terminé, Marie-Madeleine monte seule, à Paris. Cette fois, elle va enfin travailler avec Dupré, elle va enfin se mesurer à d’autres. Il faut rapidement étudier le contrepoint et la fugue. Cela se fera, selon le vœu du Maître avec Jeanne Demessieux, parallèlement au cours libre de Meudon, afin d’entrer, l’année suivante, à la classe du Conservatoire. Elle s’y trouve avec les plus célèbres organistes de notre temps – Pierre Cochereau, Marie Claire Alain, Suzanne Chaisemartin et tant d’autres, auxquels elle voue grande admiration et amitié. Quelle joie de se trouver enfin confrontée à de pareils artistes ! Lors des absences de Marcel Dupré, c’est Maurice Duruflé qui le remplace à la classe et dès 1947, Marie-Madeleine est sa suppléante attitrée à Saint Étienne-du-Mont (notons au passages que c’est aussi l’année de la première audition du Requiem, qu’elle va si souvent accompagner par la suite). Elle remplace aussi Marcel Dupré à Saint-Sulpice, Jeanne Demessieux au Saint-Esprit, André Fleury à Saint-Augustin, etc.
C’est en 1949 qu’elle obtient ainsi que trois de ses condisciples, un brillant premier prix, première nommée. Pour cela, elle joue l’Allegro de la Sixième Symphonie de Widor, est remarquée pour son superbe jeu, mais aussi pour une prouesse que seule a faite Olivier Messiaen il y a quelques années, « le grand mélange », contrepoint de la plus grande complexité, improvisé dans la para- phrase du grégorien.
Marie-Madeleine est d’ores et déjà, hissée au niveau des plus grands virtuoses de l’orgue. Elle donne plusieurs concerts en France, s’adaptant facilement aux instruments les plus modestes ou mal commodes comme aux tribunes prestigieuses, et partout déchaînant des ovations.
1953 - Le Concours Charles-Marie Widor
Du 6 ou 8 juillet 1953, elle se présente au Premier Concours International Charles-Marie Widor lors du Festival de Lyon-Charbonnières placé sous la présidence de Marcel Dupré – Maurice Duruflé qui sait qu’il va bientôt l’épouser, refuse d’être membre du jury mais y assiste, en simple auditeur. Chaque candidat doit présenter un programme complet de concert ; elle joue un Bach (Fantaisie et fugue sol min), deux romantiques (Choralen si mineur de César Franck et Allegro-Vivace de la 5e de Widor), un contemporain (Variations sur un Noël de Dupré). Elle joue avec allégresse des œuvres aimées dont les Variations sur un Noël de Dupré totalement assimilées depuis 1938... elle est la triomphatrice du concours pour l’interprétation et l’improvisation.
1953 - Mariage
Le 15 septembre 1953 a lieu le mariage de Maurice Duruflé et Marie-Madeleine Chevalier à Saint-Étienne-du-Mont. Marcel Dupré est au petit orgue puisque le grand orgue est encore muet en attente d’une restauration. Marie-Madeleine sera dans la vie de Maurice Duruflé un vrai rayon de soleil provençal, lui apportant une joie de vivre qu’il ne possédait pas. Elle lui facilite le contact avec autrui, le complète dans toutes ses activités d’artiste, lui conseille parfois la patience. De plus, il découvre chez les Chevalier une chaleureuse vie de famille qui lui manquait depuis son enfance.
Les concerts et les tournées
La carrière de nos deux chers artistes va être alors étroitement liée. Ils se partagent les services à Saint-Étienne-du-Mont. Donnent dans toute la France, dans toute l’Europe des joints récitals. Enregistrent peu, mais de façon marquante, créent les œuvres de Vierne et Tournemire reconstituées par Maurice Duruflé. Marie-Madeleine joue beaucoup les œuvres de son mari en pleine connaissance de l’interprétation qu’il préfère. En 1958, enregistrement du Requiem chez Érato, dirigé par l’auteur avec Marie-Madeleine à l’orgue et l’orchestre Lamoureux.
Le premier concert aux États-Unis
En 1964, Marie-Madeleine décide son époux, invité aux États-Unis, à s’y rendre. L’organiste Robert Burns King, de Burlington en Caroline du Nord, nous raconte les circonstances particulières du premier concert sur la terre d’Amérique, à Philadelphie. (voir hommages)
Les Grandes tournées
De 1964 à 1971, les Duruflé iront cinq fois aux États-Unis pour de grandes tournées (1964, 1966, 1967, 1969, 1971). Maurice Duruflé dirige son Requiem, Marie-Madeleine en tient la partie d’orgue dans la version avec orchestre ou pour orgue seul et complète tou- jours avec plusieurs pièces d’orgue. Son mari lui laisse de plus en plus souvent les œuvres de grande virtuosité. Ils font aussi deux tournées en Russie. Marie-Madeleine retourne seule aux États-Unis en 1974. L’accueil qu’elle trouve là-bas la galvanise.
Les compositions
Dans sa jeunesse, après ses études d’harmonie, à 14 ans, elle a beaucoup improvisé à l’orgue, mais elle a moins composé, moins écrit. Cependant elle nous laisse, dans un style très diffèrent, Six Fables de la Fontaine, composées pour les chorales d’enfants de sa sœur (Édition Durand) et quelques pages d’orgue et de piano qui seront bientôt éditées.
L'enseignement
Depuis l’âge de 14 ans elle a enseigné d’abord le solfège et le piano, puis l’orgue, à Cavaillon puis à Paris, et tous ses élèves témoignent de l’impression forte qu’elle leur a laissée. Lettres bouleversantes venues du monde entier reçues par sa sœur après sa mort.
L'accident
Le 29 mai 1975, c’est l’accident de la route. Tous les deux horriblement blessés. Après de graves opérations et au retour de dix mois de thalassothérapie et de lente remontée elle retrouve aussitôt son cher orgue de Saint-Étienne-du-Mont mais elle doit se priver de voyages et soigne avec un dévouement sans bornes son cher époux, jusqu’au décès de celui-ci en 1986. Mais le 25 avril 1980 elle a donné une version somptueuse du Requiem chanté par la Chorale Colbert que dirige sa sœur, utilisant de façon incomparable les possibilités de son magnifique instrument de Saint-Étienne-du-Mont. Ce sera la dernière exécution du Requiem en présence de l’auteur qui s’en est montré très heureux.
1989-1994 - Retour éblouissant à la carrière de concertiste
De 1989 à 1994, après de nouvelles opérations elle se retrouve en pleine possession de ses moyens et ce sont à nouveau les plus belles orgues de France et l’Amérique où son retour est accueilli comme un événement lorsque, en 1989, invitée par Dennis Keene à New York pour un « Hommage à Duruflé » elle vient jouer les œuvres de son mari.
Les Master Classes
Elle fait des Master classes à Toulouse en 1991 et à Denton, près de Dallas, où, appelée par Jesse Eschbach elle va rester de janvier à juin 1992.
Les grands succès
En ces années de plein épanouissement, elle est nommée officier des Arts et Lettres par le ministère de la Culture en 1987, et la Ville de Paris lui décerne sa médaille de vermeil (1998). Six grands concerts à Paris en hiver 1992-1993, qui restent dans toutes les mémoires : l’inauguration de l’orgue de Saint-Étienne-du-Mont, magnifiquement restauré par Bernard Dargassies, inauguration aussi de celui de la cathédrale américaine de Paris, également magistralement restauré par Monsieur Dargassies, Notre-Dame de Paris, Saint- Eustache, etc. Sa virtuosité est éblouissante et quand elle donne en bis, la quatrième Étude de Chopin, l’auditoire est surpris et transporté.
Les dernières épreuves, souffrances
Mais l’épreuve la guette encore – après tant de triomphes, de nouvelles séquelles de l’accident de 1975 dégradent peu à peu sa santé, obligeant à de nouvelles opérations. Les forces diminuent. Elle est encore à ses claviers de Saint-Étienne-du-Mont aux messes de 11h00 le dimanche où l’on fête en 1997 ses 50 ans de présence au cours d’une messe. Les paroissiens ou de simples auditeurs, venus de loin, disent que, seule, elle sait à ce point élever leur prière. Ce rôle d’organiste liturgique a toujours été pour elle, le tout premier ce qui, au moment de son décès, a permis à Monseigneur Pierre d’Ornellas, évêque auxiliaire de Paris, d’écrire : « Nombreux sont ceux qui reconnaissent combien la prière a été conduite, apaisée, élevée par la musique émanant des orgues de Saint-Étienne-du- Mont. Ma reconnaissance se joint d’autant plus à eux que ce fut une authentique participation à l’œuvre d’évangélisation de l’Église à Paris. Madame Duruflé, aux côtés de son mari, doit être maintenant surprise en découvrant en vérité le secret des cœurs atteints par l’orgue qu’elle faisait vibrer de tous ses jeux. »
En avril 1999 elle accorde une interview à la revue Organ et en juin elle vient écouter en la cathédrale américaine Ned Tipton qui tient à avoir ses avis pour l’interprétation de la Toccata de son mari, qu’il va jouer bientôt en Amérique. Elle est bien lasse, bien souffrante, mais toujours attentive...
In Paradisum
Mais les forces déclinent. Après un dernier séjour d’été en Provence, s’en est allée vers le Seigneur, cette grande dame de l’orgue, pieusement et sereinement. C’était le 5 octobre 1999, le chœur des anges et les grands saints tant priés ont dû l’accueillir sans doute au son du si bel In Paradisum.
C’est à Ménerbes, village du Luberon dans le Vaucluse que toute la famille avait adopté, qu’elle repose auprès de ses parents et de Maurice Duruflé."
Éliane Chevalier, juin 2001